Une centrale de cogénération à la biomasse forestière se bâtit à Opitciwan
« Source de fierté », « symbole de la persévérance » et « catalyseur pour la communauté ». Plus d’une décennie après la présentation du projet à Hydro-Québec, la construction de la nouvelle centrale de cogénération à la biomasse forestière — qui produira de l’électricité à partir des résidus de bois de la scierie locale — débute enfin dans le village d’Opitciwan. Un événement qui suscite beaucoup d’espoir et qui ouvre la voie pour le développement de cette communauté attikamek.
« C’est un jour historique qui va marquer la communauté. Je suis extrêmement fier d’être devant vous pour annoncer le début des travaux », a soutenu le chef Jean-Claude Mequish, qui participait, mercredi, à la première pelletée de terre officielle sur le site de la future centrale, tout près de la scierie.
Près de l’entrée du village d’Opitciwan, en Haute-Mauricie, après plus de trois heures de route sur un chemin forestier cahoteux en partance de Saint-Félicien, on peut voir les génératrices au diesel qui alimentent le village en électricité depuis les années 1980.
Au village, le ronronnement de la centrale au diesel est un bruit commun, illustre l’Attikamek Denis Clary, qui y va d’une anecdote toute personnelle en entrevue au Devoir. Il y a quelques jours, il était « parti aux bleuets » en canot, à un kilomètre et demi du village. « Le vent était du nord, et moi j’étais au sud, et j’entendais les bruits de la communauté. Et ce que j’entendais le plus, c’était le bruit des génératrices », raconte-t-il. « Au niveau des odeurs, quand les vents sont de l’est, ça amène la boucane vers la communauté, tu le sens quand tu te promènes. »
C’est sans compter toutes les génératrices d’appoint qui sont installées dans la communauté de 2500 habitants, parce que les pannes d’électricité sont monnaie courante ici depuis quelques années, explique M. Clary, qui pilote le dossier de la nouvelle centrale de cogénération à la biomasse à titre de président de la Société en commandite Onimiskiw Opitciwan. « Les pannes, ça commençait à être fréquent, surtout l’hiver. »
Lorsqu’il y a des pannes, explique-t-il, plusieurs familles perdent le contenu de leur congélateur, qui contient souvent des vivres pour plusieurs semaines, car la ville la plus proche est à plus de trois heures de route. Les malades branchés sur l’oxygène ou qui font de la dialyse à la maison sont sur le qui-vive et doivent parfois se déplacer au centre de santé. Les écoles, la scierie et le conseil de bande sont alors fermés.
L’hiver dernier, le moteur d’une des quatre génératrices au diesel a lâché. Résultat : une panne de deux semaines pendant laquelle il y a eu de l’électricité en alternance, à raison de quelques heures par jour par quartier. Le système actuel est carrément « défaillant », explique M. Clary, et le réseau peine à fournir. Pendant les périodes de pointe, l’hiver, il n’est pas rare que l’on demande à la scierie de fermer quelques jours pour permettre d’alimenter les maisons en électricité. Impossible, dans ce contexte, de développer de nouveaux projets pour le village. Et pourtant, certains projets, comme la construction de nouvelles maisons, sont essentiels.
Une longue attente
Ce n’est pas d’hier que les Attikameks d’Opitciwan soulèvent la question. En 2010, le conseil de bande avait fait le constat que les génératrices « commençaient à être défaillantes tout le temps », se souvient M. Clary. Des études ont été faites pour trouver quelle serait la meilleure solution. Rapidement, le projet de centrale de cogénération à la biomasse s’est imposé.
D’un côté, on avait des camions qui faisaient des centaines de kilomètres chaque semaine pour transporter du diesel pour alimenter les génératrices. Et de l’autre, on avait des camions qui faisaient le chemin inverse pour disposer des résidus de la scierie — de l’écorce, principalement — dans d’autres villages du Québec pour produire de l’électricité. « Quand on explique ça, les gens voient bien à quel point c’est illogique », affirme Paul Michaud, directeur financier et administratif du projet.
Pourtant, il aura fallu plus d’une décennie avant que le projet obtienne l’aval d’Hydro-Québec. « Si on se ramène en 2010-2012, les relations n’étaient pas idéales, il n’y avait pas de volonté politique chez Hydro-Québec », explique M. Michaud.
L’impasse a perduré jusqu’à ce qu’en juillet 2021, quand l’équipe d’Opitciwan s’est assise avec la p.-d.g. d’Hydro-Québec de l’époque, Sophie Brochu. « La rencontre a duré une heure. La présidente a regardé son équipe et elle a dit : “Je ne comprends pas pourquoi ce projet-là ne marche pas. Vous allez vous entendre et vous allez trouver des solutions” », se rappelle M. Michaud.
Un an et demi plus tard, en décembre 2022, l’entente était conclue. Et aujourd’hui, les ministres et les responsables du projet étaient réunis à Opitciwan pour la pelletée de terre officielle annonçant le début des travaux.
« C’est plus qu’un simple projet, c’est une source d’énergie sécuritaire et renouvelable nécessaire pour chaque famille et un véritable moteur de développement économique », a soutenu le chef Mequish devant une cinquantaine de dignitaires et de gens du village. « Notre rêve devient une réalité tangible. On regarde l’avenir et on voit l’héritage dont nos enfants seront fiers. »
Le ministre responsable des Relations avec les Premières Nations et les Inuits, Ian Lafrenière, a salué ce projet qui a été développé « par et pour la communauté », rappelant que les Premiers Peuples étaient aux premières loges des répercussions des changements climatiques, et que la transition d’un combustible fossile à la biomasse « va aider énormément ».
La centrale devrait être mise en service en juillet 2026. D’ici là, la population ressentira encore les effets des pannes et du réseau saturé. Mais elle peut dorénavant regarder vers l’avenir.
Le chef Jean-Claude Mequish espère pouvoir augmenter le rythme de construction des maisons, construire une auberge pour accueillir les touristes et les nombreux contractuels qui viennent travailler au village, ainsi qu’une serre pour avoir accès à des légumes frais. « Le projet de centrale, ça va amener beaucoup de projets », affirme-t-il fièrement.
Un projet de 70 millions
Il s’agit du premier projet de réseau autonome de ce type dans une communauté autochtone du Québec. Le conseil de bande d’Opitciwan est l’unique propriétaire de la centrale, et un contrat de 25 ans a été conclu avec Hydro-Québec, qui s’engage à acheter l’énergie produite par la centrale pour alimenter la communauté.
La centrale créera 40 emplois pendant sa construction et 15 emplois lors de son exploitation.
La puissance de la centrale sera de 4,8 mégawatts. La quantité de diesel utilisée diminuera de 85 %, et l’émission de près de 13 000 tonnes de GES sera évitée. Les génératrices actuelles seront conservées comme source d’énergie d’appoint.